Organiste titulaire, Samuel Poujade nous ouvre l’envers du décor de cet instrument monumental. Un voyage à 20 m de haut dans une forêt de tuyaux à la découverte d’une fascinante machinerie, qui commence toutefois à présenter des signes de fatigue.
On commence par monter un étroit escalier en pierre, débouchant sur un premier palier qui surplombe, déjà, le choeur de la cathédrale Saint-Just. Un orgue trône là… mais ce n’est pas avec lui que nous avons rendez-vous. “Il a été installé dans les années 20 en remplacement, lorsque l’instrument principal était en cours de restauration”, raconte Samuel Poujade. L’instrument principal, c’est le grand orgue. L’outil de prédilection de notre guide, titulaire des orgues de Narbonne. Un monument patrimonial synonyme pour beaucoup de musique des sphères, et méritant à ce titre qu’on lui consente une nouvelle ascension.
Second escalier, cette fois en colimaçon, protégé d’un magnifique écrin de bois baptisé “le crayon”. Nous voici à 20 m au-dessus du sol : la vue est assez vertigineuse. Pourtant, le regard se détourne assez vite de ce panorama pour se focaliser sur un autre spectacle fascinant. Le grand orgue dévoile enfin l’envers de son décor, caché aux visiteurs par sa splendide voûte de bois bardée de tuyaux. Samuel Poujade ouvre deux petits volets : “Mon univers est juste derrière!”
Livré en 1742
Tout un monde de sons et d’accords se trouve en effet concentré sur quatre claviers et un impressionnant jeu de pédales, reproduisant lui aussi touches blanches et noires. Tout autour, une horde de boutons : les fameux registres d’orgue transformant la sonorité à la volée. “Il s’agit d’un orgue à transmission électrique, précise le spécialiste. A l’origine, bien sûr, tout était mécanique : la transmission électrique permet de diminuer le nombre de pièces et d’éléments encombrant l’intérieur de l’orgue, et de rendre ce dernier plus réactif”. Cette pointe de modernité transparaît aussi au travers d’un petit écran et d’une enceinte, utilisés par l’organiste afin de suivre plus facilement le déroulement des offices. Et dans les entrailles de la bête, c’est désormais un moteur qui garantit l’apport en air à tout le système.
Bien sûr, tout ceci n’existait pas à la construction de l’instrument, commandé en 1739. “L’orgue précédent datait de 1492 : il a été détruit lors d’un incendie au début du XVIIIe siècle.” Son successeur, réalisé par Christophe Moucherel, sera livré en 1742. “Il comptait au départ cinq claviers, et des registres très différents de ceux d’aujourd’hui”, détaille Samuel Poujade.
Entre évolutions, restaurations et transformations, l’instrument a ainsi traversé les époques sans ne jamais rien perdre de sa symbolique. “L’un des registres d’orgue les plus connus est la voix humaine, mais il existe aussi une voix céleste donnant l’impression que le son est porté par une vague, qu’il y a une vie derrière. Tout l’intérêt consiste à combiner les deux.” Et à rapprocher, par la musique, temporel et spirituel.
Niveau acoustique, c’est “moyen moins”
L’orgue de Saint-Just fêtera cette année ses 277 ans. Cela commence à compter. Et même si beaucoup de pièces (à commencer par les claviers, les registres et la plupart des tuyaux) ont été remplacées au fil des siècles, l’instrument est loin d’afficher une forme olympique.
“La dernière restauration en date, menée dans les années 90, s’est faite un peu a minima”, résume Samuel Poujade. Et l’organiste d’énumérer les conséquences toujours plus prégnantes d’une usure grandissante. “L’un des quatre claviers ne fonctionne tout simplement pas, car il manque tout le système de sommiers et de lattes de bois coulissantes qui le rendrait utilisable. Il faudrait l’installer juste derrière la voûte boisée principale : l’espace est disponible. De même, certaines touches ne répondent pas toujours et le système électrique fatigue lui aussi par moments.”
Pire encore, “certains tuyaux commencent à s’affaisser sur eux-mêmes, ce qui a un impact direct sur la qualité du son.” En guise d’illustration Samuel Poujade joue une note isolée : ce qui aurait dû restituer la puissance d’une bombarde s’apparente ici au bruit d’un marteau-piqueur.
“En termes de qualité acoustique, l’orgue de Saint-Just se classe dans les moyens moins”, estime ainsi le spécialiste… qui n’est pas le seul à penser de la sorte. “Dans le milieu des connaisseurs, beaucoup ne comprennent pas pourquoi un instrument avec un tel potentiel ne sonne pas mieux que ça.” La réponse est pourtant simple : le manque d’argent.
“Cet orgue a besoin d’une restauration quasi totale, affirme en effet Samuel Poujade. Il faut conserver le buffet et les vingt-six registres classés, puis restaurer autour de cette base.” Deux ans de travaux et un coût que l’on devine prohibitif… mais pas encore estimé.
“L’association Les orgues de Narbonne a demandé à la Ville de saisir la Drac afin de mener une étude, mais on nous répond à présent que c’est à l’association de trouver les financements !” Soit, tout de même, quelque 60 000 euros. Ces passionnés bénévoles ne baissent pas les bras pour autant : la quête aux subventions et au mécénat va bon train. Il n’empêche, la seconde jeunesse de l’orgue de Saint-Just ne semble malheureusement pas pour demain.
Comment devient-on l’organiste de Narbonne ?
J’ai découvert l’orgue dans le ventre de ma mère”, s’exclame Samuel Poujade en riant. Il faut dire que la maman en question chantait dans une chorale de Rocamadour : certaines sonorités devinrent donc très vite familières.
“Par la suite, lorsque je suivais ma mère sur les tournées, j’assistais aux répétitions de l’organiste.” Alors si Samuel a commencé par le piano puis le clavecin, c’était pour mieux atteindre cet instrument dont les harmonies le bercèrent avant même qu’il ne vienne au monde.
Ainsi, lorsque le musicien arrive sur Narbonne fin 2015, c’est tout naturellement qu’il propose ses services afin d’orchestrer les cérémonies de la cathédrale. “Un concours de circonstances a fait que Jean-François Escourou, seul organiste à ce moment-là, était moins disponible que moi. On m’a donc proposé de devenir titulaire des orgues de la ville, Jean-François restant titulaire adjoint.”
Mais pour ces musiciens, la passion se double souvent de bénévolat : Samuel Poujade ne vit pas de son talent d’organiste. Conducteur de trains, il jongle entre les déplacements occasionnés par son métier et sa présence à Narbonne pour assurer les offices de Saint-Paul (le samedi soir) et Saint-Just (le dimanche matin). “Mon rôle consiste à accompagner les fidèles dans leurs prières, ce qui passe aussi par des temps d’improvisation à certaines étapes de la messe. C’est le cas lors de la consécration du pain et du vin, dont la durée n’est pas fixe.”